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15 février 2009 7 15 /02 /février /2009 13:28
    Quand Ulysse est parti, j’étais déjà dans le textile. Je baigne dans le fil depuis mon plus jeune âge : fil à broder, fil à tricoter, fil à coudre... C’est en cousant que j’ai appris mon métier, je créais des costumes pour le spectacle… en espérant le retour d’Ulysse. Quoi de mieux que ces travaux de patience pour s’occuper en attendant un homme parti à la guerre ? Ca peut durer longtemps, une guerre… Six jours ou cent ans !
    Jour après jour, j’engrangeais des connaissances sur la technologie des textiles ou sur  l’histoire du costume : comment on fabrique du polyester, de l’élasthanne, de l’acrylique à partir de produits pétroliers... Comment, dans mon pays, et particulièrement dans ma région, il y a à peine un siècle on cultivait du chanvre qui était transformé en matière textile de grande qualité avec laquelle n’importe quelle Pénélope pouvait filer et tisser des toiles rivalisant de finesse avec les soieries venues de Chine. Comment les textiles, quels qu’ils soient, sont traités et retraités avec des produits chimiques tellement toxiques… qu’il arrive parfois qu’on les interdise. Et on appelle toujours ça l’ennoblissement textile !  Comment la culture du coton est intimement liée au colonialisme, à l’esclavage. Comment on teignait la laine dans les manufactures royales des temps anciens…
    L’espoir du retour d’Ulysse ne me quittait pas, il me soutenait dans l’adversité. Mais les prétendants, eux, avec de plus en plus d’insistance, insinuaient que le héros ne reviendrait jamais. Qu’il était sans doute mort, depuis le temps. Ils prenaient leurs aises dans nos domaines. Assoiffés de richesse et de pouvoir, ils ne pensaient qu’à leurs petits profits. Ils s’empiffraient sans se soucier de la terre qui les nourrissait et le pays qu’ils dévastaient autour d’eux leur restait complètement indiffèrent.
    L’espoir du retour d’Ulysse me poussait à prendre soin de mon île, à prendre soin de moi aussi. Je pouvais me permettre de manger bio, de bons petits fromages de brebis élevées dans les montagnes alentour, des tomates du jardin, des olives. Je respectais les rites et les dieux. J’engrangeais sans cesse de nouvelles connaissances, et je cousais toujours, oui, rien n’a jamais pu m’en empêcher. Puisque c’est comme ça que je me sens reliée au monde…
    Ce monde autour de moi  qui me semblait devenu fou.
    Je me posais des questions de toutes sortes devant l’augmentation des allergies, eczémas et autres psoriasis, devant l’envahissement de mon univers textile par des produits bas de gamme fabriqués en grandes quantités dans des conditions la plupart du temps effroyables pour ceux qui y travaillent. Sans parler des pollutions souvent induites par les volumes gigantesques produits en vertu du principe de rentabilité industrielle. Je me posais des questions sur ce que je pouvais faire, moi, sur ma petite île.
     J’ai cherché des tissus bio… Après tout, même si ça ne se mange pas, ça se cultive ! Combien de tonnes d’intrants (pesticides, engrais, défoliants, etc.) sont-elles vendues à des paysans qui peinent à nourrir leur famille. La mer d’Aral asséchée et polluée… Tout ça pour fournir un coton de qualité minable qui servira à fabriquer des vêtements bas de gamme ! Tout ça pour produire des jeans usés, des tee-shirts informes, quantité de chemises bon marché qui seront rapidement jetées aux ordures, déchirées ou décousues. Tout ça pour des gens qui n’ont besoin de rien et qui sont prêts à payer un prix exorbitant pour combler ce rien.
    Les informations que je trouvais me confirmaient que les textiles bio sont une solution aux problèmes sanitaires et environnementaux rencontrés aujourd’hui. Qu’il est possible de récupérer des déchets verts pour en faire de la matière colorante. Que les cultures ancestrales utilisaient les teintures végétales pour soigner, alors pourquoi pas nous ?  Aujourd’hui, avec toute cette belle technologie, pourquoi ne le pourrions-nous pas, nous aussi ? Soigner ces allergies, eczéma et autres psoriasis…
    J’ai rencontré Clytemnestre, femme d’Agamemnon, parti lui aussi à la guerre. Mais elle ne s’inquiétait guère pour le monde, elle. Elle avait trop à faire dans sa maison.
    J’ai demandé à Arachné. Et c’est sur la toile que j’ai trouvé le premier filon. Dans un premier temps, je ne pouvais me procurer que des tissus écrus. Un peu de jersey, voir du molleton, mais toujours écrus. J’ai donc commencé à fabriquer mes premiers modèles avec ce que j’avais déniché. Eumée, le divin porcher, m’a sculpté quelques boutons, pour l’agrément.
    Tout était écru, évidemment. Au début, ça ne me gênait pas beaucoup. Mais rapidement, j’ai eu envie de couleurs. J’ai commencé par imprimer des plantes sur mes tissus. Et j’ai eu beaucoup de succès.
    Mais je gardais l’envie de redorer le blason de l’ennoblissement textile qui m’apparaissait terni par toute cette pollution que sa fabrication, industrialisée jusqu’à l’outrance, a engendré ces dernières années.
    A partir des fibres que je m’étais procurées si laborieusement, du chanvre, parfois mélangé à du coton ou de la laine, j’ai réalisé mes premières teintures avec des végétaux que j’avais appris à connaître et que je ramassais, en respectant les rites, au bord des chemins, dans le lit de la rivière. Je cherchais comment augmenter la tenue des couleurs, je testais leur solidité à la lumière, leur résistance au lavage. J’essayais de nouvelles recettes. Je n’avais jamais fini mon travail. Je lisais beaucoup et je rencontrais parfois quelqu’un qui me donnait quelques précieuses informations. Je coupais et cousais, encore et encore. Pièce par pièce, j’assemblais mon patchwork.
    Avec le retour d'Ulysse, je peux me régaler, enfin. Fabriquer des vêtements simples mais bien coupés, solides et efficaces. Créer des modèles particuliers qui s’adaptent aux différents individus que je rencontre. Avec fantaisie et légèreté. Pour que notre vie soit plus belle !
    Tout en continuant patiemment mes recherches, j’expose au grand jour mon travail et je rencontre de plus en plus de gens inquiets pour l’avenir de notre monde. Des gens soucieux de trouver des solutions. Des gens conscients que les comportements individuels peuvent avoir un impact. Et aussi des gens qui savent voir la beauté des choses, qui aiment la vie.
    Je remercie tous ceux qui m’ont soutenue et qui ont eu confiance en moi, même quand ce n’était pas évident, au temps où la bio-attitude n’était pas encore à la mode. Je remercie tous ceux qui ont apprécié mon travail et m’ont encouragée à continuer.

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commentaires

C
                                  Merci de ton passage sur mon blog, j'admire ton travail et je vois que le nerf de la guerre est toujours l'argent.....                                   Amitiés d'un oiseau à plumes.....                                                      condor79
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P
<br /> C'est le mot négocier qui te fait penser à l'argent ?<br /> Tu sais qu'on peut négocier dans d'autres termes que financiers ?<br /> <br /> <br />
C
                                    Pas une tenue seyante pour un condor ?...snif....Joli blog, bravo mais je ne suis pas de fil mais de plumes....                                    Salutations                                               condor79
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